Pour John Straightnose, retourner au Tribunal de traitement de la toxicomanie (Drug Treatment Court) de Regina est comme des retrouvailles – il salue tous ceux qu’il voit avec une confiance décontractée, discutant de ses enfants, de ses tournois de golf et de ses projets de carrière.
Alors qu’il s’apprête à fêter ses cinq ans de sobriété en août, sa vie est méconnaissable par rapport au moment où il a franchi pour la première fois les portes du bureau du Tribunal de traitement de la toxicomanie en septembre 2019.
Le chaos de la dépendance et de la criminalité
« Avant d’arriver au Tribunal de traitement de la toxicomanie, ma vie était assez chaotique », déclare John. « Lorsque je raconte mon histoire, je parle du fait que j’ai été coincé dans une dépendance active pendant 20 ans, depuis l’âge de 15 ans jusqu’à ce que j’atterrisse au Tribunal de traitement de la toxicomanie à l’âge de 35 ans. »
Le chaos de la dépendance a souvent alimenté son comportement criminel; il volait pour se procurer sa prochaine dose. Ses drogues de prédilection étaient principalement des opioïdes sur ordonnance comme l’hydromorphone, mais il lui arrivait aussi de prendre de la méthamphétamine en cristaux (« crystal meth »).
« La méthamphétamine m’a vraiment plongé dans un endroit sombre, et je ne voudrais jamais y retourner. Cela m’a fait peur », déclare John.
Entre 2010 et 2019, il a fait sept allers-retours dans des centres correctionnels provinciaux en raison d’un cycle ininterrompu d’accusations liées à ses dépendances, notamment pour conduite avec facultés affaiblies, vol de biens et multiples manquements à l’obligation de se présenter devant le tribunal et aux conditions de la probation.
« Chaque fois que je sortais, je me retrouvais rapidement dans les rues de Saskatoon à la recherche de ma drogue de prédilection », explique John. « Je me disais que je n’y retournerais pas, que je ne prendrais qu’une seule dose et que tout irait bien, mais les choses se sont enchaînées. »
Le 3 août 2019, il est arrêté pour vol à l’étalage à Yorkton alors que six de ses enfants et leur mère se trouvaient à l’extérieur et le regardaient toucher le fond.
Un véritable agent de changement
Il entend parler pour la première fois du Tribunal de traitement de la toxicomanie alors qu’il passait la longue fin de semaine du mois d’août dans les cellules de détention provisoire de la police.
« J’ai entendu dire que le programme donnait une seconde chance et, à l’époque, je me suis dit que je pourrais peut-être intégrer le programme et continuer à consommer de la drogue », admet John.
Son état d’esprit a changé lorsqu’il a rencontré Judie Birns, gestionnaire du Tribunal de traitement de la toxicomanie, lors de son entrevue d’évaluation officielle. John a décidé de demeurer sobre et de se comporter le mieux possible pour être sûr d’être accepté.
L’objectif du Tribunal de traitement de la toxicomanie est d’aider les délinquants qui sont aux prises avec des problèmes sous-jacents à s’attaquer aux causes profondes de leur dépendance afin de briser le cycle du comportement criminel. Après une période d’évaluation, les délinquants doivent plaider coupables avant d’entrer au Tribunal de traitement de la toxicomanie, lequel constitue une solution de rechange à l’incarcération.
Le programme de Regina peut accueillir 30 participants, tandis que le Tribunal de traitement de la toxicomanie de Moose Jaw peut en accueillir 7. Cet automne, un nouveau Tribunal de traitement de la toxicomanie ouvrira ses portes à North Battleford, suivant le modèle de celui de Moose Jaw. La taille réduite des groupes permet au programme de fournir des services intégrés qui répondent aux besoins individuels de chaque personne.
Dès son premier jour dans le programme, John a assisté à une cérémonie de remise des diplômes pour ceux qui terminaient le programme, où il a été accueilli et encouragé. L’atmosphère de soutien du groupe l’a incité à prendre ses responsabilités pour l’avenir.
« C’est formidable de voir cette lumière s’allumer – lorsque quelqu’un prend la décision de changer, ses yeux changent, son comportement change, sa façon de s’habiller, de parler et d’agir change », indique Judie avec fierté.
Un soutien complet qui favorise la réussite
Judie décrit le Tribunal de traitement de la toxicomanie comme un « guichet multi-service » qui examine tous les aspects de la vie d’une personne afin de répondre à ses besoins physiques, psychologiques et émotionnels uniques pour qu’elle devienne sobre et le reste. Les participants suivent 200 heures de programmes individualisés d’une durée de 12 à 18 mois portant sur la toxicomanie, les valeurs, l’orientation culturelle et spirituelle, les aptitudes à la vie quotidienne, les responsabilités parentales, la gestion de la colère, ainsi que les aptitudes à la formation et à l’emploi.
Le personnel aide également les participants à répondre à leurs besoins fondamentaux, tels que la recherche d’un logement et la prise de rendez-vous chez le dentiste, l’optométriste et le médecin.
« Certaines personnes ont besoin de chirurgies, elles souffrent depuis des années et utilisent des drogues pour masquer la douleur – chaque cas est unique », explique Judie.
Le Tribunal de traitement de la toxicomanie de Regina dispose de conseillers sur place, d’une infirmière psychiatrique de l’Autorité de la santé de la Saskatchewan, d’un agent de probation et d’un agent des services sociaux chargé de l’aide au revenu. Il propose également des évaluations psychologiques dans le cadre d’un programme pilote en collaboration avec l’Université de Regina.
« Il s’agit véritablement d’une approche communautaire, car chaque personne a des besoins différents et son plan de traitement doit en tenir compte », précise Judie.
La pierre angulaire du programme est la « thérapie de reconation morale », qui aide les personnes à cerner les éléments déclencheurs d’un comportement criminel, à élaborer des stratégies d’adaptation et à améliorer le raisonnement moral, la prise de décision et l’établissement d’objectifs positifs.
« La partie la plus importante de ce travail est d’être là pour les soutenir et leur montrer que l’on croit en eux, même dans les moments difficiles », ajoute Judie.
Mettre fin à la stigmatisation
« La société rejette parfois les gens lorsqu’elle les voit comme des toxicomanes dans la rue. Ils ne sont pas des cas irrécupérables. Il a pu leur arriver quelque chose à un moment donné de leur vie qui les a transformés en ce toxicomane que les gens voient », déclare Judie.
La lutte contre la dépendance est un chemin difficile et tout le monde ne parvient pas à obtenir son diplôme, mais chaque réussite individuelle crée un effet d’entraînement et de changement positif pour l’ensemble de leur famille.
« Ils ne veulent pas être dans le mode de vie dans lequel ils vivent et n’ont aucune idée de la manière dont ils peuvent arrêter le cycle par eux-mêmes. Ils sont très intelligents et savent survivre dans la rue. Lorsqu’ils choisissent de changer et de s’investir dans un mode de vie sans drogue ni criminalité, ils peuvent accomplir des choses extraordinaires ».
Judie décrit la transformation comme un effet papillon, avec des personnes qui poursuivent des études supérieures et mènent des carrières fructueuses en comptabilité, construction, soins de santé et même counselling et travail social, où elles tirent profit de leur propre histoire pour aider d’autres personnes qui se sentent désespérées.
John, par exemple, a récemment terminé sa deuxième année à l’Université de Regina et a été officiellement admis à la faculté de travail social. Il travaille actuellement dans une maison de transition, où il partage son histoire pour encourager les autres à surmonter leurs propres dépendances.
Le sentiment d’être en famille
Bien que les objectifs en matière de formation et de carrière soient importants, le Tribunal de traitement de la toxicomanie aide également à réunir de nombreuses familles. Dans le cadre du programme, John a travaillé en étroite collaboration avec les services sociaux pour récupérer la garde et le droit de visite de ses neuf enfants.
Aujourd’hui, quatre de ses enfants, dont leur fille de 16 mois, vivent à plein temps avec lui et sa conjointe à Regina. Il entretient de bonnes relations avec ses six autres enfants, qui vivent avec leur mère dans une autre collectivité. Il aime emmener sa famille à des tournois de golf ou de hockey et faire du camping.
Judie considère les anciens du Tribunal de traitement de la toxicomanie comme une grande famille élargie. Elle a les larmes aux yeux en voyant chaque diplômé élever ses enfants, réussir et revenir pour soutenir ses pairs. Certains des bébés nés des participants au programme sont aujourd’hui âgés de 12 ou 13 ans. On lui a demandé de devenir la marraine d’un des enfants d’un participant au programme, et un autre participant a donné son nom à son enfant.
« Je vais voir les matchs de hockey et de football des enfants et nous organisons des fêtes de Noël », s’amuse à dire Judie en décrivant l’augmentation du niveau sonore due au grand nombre d’enfants qui courent partout lors des rassemblements. John ajoute que la moitié de ces enfants sont les siens.
North Battleford et au-delà
En mai, le gouvernement de la Saskatchewan a annoncé le financement d’un troisième Tribunal de traitement de la toxicomanie à North Battleford, dont l’ouverture est prévue pour l’automne 2024. Le rêve de Judie est de mettre en place un réseau provincial de soutien par les pairs parmi les anciens afin de promouvoir un rétablissement durable et à long terme.
Parallèlement, John souligne l’incidence du programme sur sa vie et les possibilités qu’il représente pour les personnes confrontées à des problèmes de dépendance et des comportements criminels.
« Il faut l’essayer. Je n’aurais jamais pensé que ma vie serait aussi belle. Avant de participer au programme, je ne savais pas ce que j’avais à offrir », témoigne John. « Lorsque j’étais en proie à une dépendance active pendant 20 ans, je n’ai jamais pensé que je pourrais devenir sobre, je pensais que j’allais mourir en vivant de cette façon, mais le fait de participer au programme du Tribunal de traitement de la toxicomanie a vraiment changé ma vie. »